Comment faire des PNJ qui ne seront pas agaçants - En Bref
Qu'est-ce qui nous plaît et nous énerve chez les PNJ qui nous accompagnent en jeu ? Comment concevoir un bon compagnon, qui ne sera pas un poids pour les joueurs et joueuses.
Dans cette publication, on va aborder plusieurs problématiques quand il s’agit de créer un bon compagnon de jeu. Qui a pour rôle de suivre les joueurs et joueuses sur un bout, voire toute l’aventure.
Source
The Architect of Games | Décembre 2022
Adam Millard : Vidéaste essayiste sur le jeu-vidéo depuis 7+ ans
Sommaire
Introduction
“Marvel's Midnight Suns”(2022) est un jeu de rôle tactique, basé sur l’utilisation de cartes en combats, qui nous fait incarner une équipe de super-héros reconnaissables de l’univers Marvel. Ces derniers ont tendance à parler comme dans des comics, à avoir des anxiétés qu’il faut résoudre, et d’étranges demandes à satisfaire. Cette combinaison est à priori parfaite pour créer des personnages agaçants avec qui les joueurs et joueuses auront horreur d’interagir.
Contre toute attente, ça n’a pas été le cas pour Adam Millard. Il a pris goût à ces personnages. Ce qui l’étonne, au vu de la difficulté historique des jeux vidéos à créer des personnages non-joueurs (PNJ) attachants. Entre ceux qui sont des moulins à tutoriels, l’acolyte autoritaire et les tristement célèbres PNJ sans défense des missions d’escortes. Même les jeux les plus reconnus tombent souvent dans le piège de créer des compagnons qui deviennent une source d’irritation et de frustration, au lieu d’enrichir la compréhension du monde et d’être des personnages avec qui l’on veut passer du temps.
Le plus étrange, ce sont souvent les PNJ que les dévs, auteurs et autrices, veulent le plus faire apprécier aux joueurs et joueuses, qui finissent par être les plus irritants. On peut penser à Fi et Navi dans les jeux “Zelda” qui sont reconnues pour être embêtantes, alors qu’elles sont censées être amicales, utiles et dispenser de bons conseils. Les mascottes censées être humoristiques et attrayantes, comme Claptrap dans “Borderland”, sont immédiatement rebutantes. Et surprenamment, beaucoup de compagnons adorés par les communautés sont ceux avec qui elles ont le plus de mal à se lier d’amitié et qui demandent de nombreux efforts ; ceux qui ont un petit côté étrange et qui n’étaient pas destinés à être les favoris ; ou ceux qui sont désagréables. Pourquoi est-ce que l’on préfère ces PNJ étranges ou hostiles, plutôt que celles et ceux créés pour nous aider ?
Les compagnons
En premier, nous devons comprendre comment ces personnages fonctionnent.
1. Leur rôle
Le rôle des compagnons est crucial dans les jeux où ils existent. Ils et elles servent à expliquer le monde, comment jouer, et poser les fondations narratives auxquelles les joueurs et joueuses peuvent s’attacher pour créer leur propre histoire. Ainsi que servir d’entité ‘gameplay’ indépendantes qui peuvent changer et évoluer différemment des avatars principaux. Pour les dévs, ce sont des outils narratifs précieux qui leur permettent de communiquer avec leur public sans briser l’immersion.
2. Les difficultés
Cependant, toutes ces choses sont vraies uniquement si le PNJ en question est apprécié. Si les joueurs et joueuses sont positivement disposés envers un personnage, toutes ses actions vont enrichir leur expérience grâce à ce lien empathique. Dans le cas où il serait ennuyant, contrariant ou écœurant, les joueurs et joueuses seront moins enclins à l’écouter et plus à lui désobéir. Ce qui les mettra parfois face aux limites de leur liberté en jeu, quand ils seront forcés de se coltiner ce PNJ, le rendant par la même occasion encore plus détestable.
Puisqu’il est si important d’apprécier les compagnons, pourquoi est-ce si dur ? Adam penche sur le fait qu’écrire un personnage interactif pour un jeu vidéo est beaucoup plus complexe que sur d’autres médiums. Ces PNJ n’ont pas seulement besoin d’être plaisants narrativement, ils ont aussi besoin de justifier leur existence dans le ‘gameplay’. Les joueurs et joueuses veulent avoir un sentiment de contrôle, progresser dans le jeu et rencontrer des défis intéressants. Tout personnage qui fait obstacle à cela sera considéré frustrant, peu importe à quel point il est bien écrit.
Le bon compagnon
Comment les meilleurs compagnons atteignent cet équilibre ?
1. Être accommodant
La première façon est de souligner l’autonomie des joueurs et joueuses en étant le plus accommodant possible. Leur faire ressentir qu’ils sont le personnage principal, tout en leur enseignant comment jouer le plus secrètement possible.
Exemple
Un excellent exemple se retrouve dans le personnage d’Alyx dans “Half Life 2”(2004). Elle informe et signale sans jamais dire quoi faire. Ses réactions et son comportement indiquent aux joueurs et joueuses ce qu’ils doivent ressentir et penser à ce moment-là du jeu : elle prend un moment pour observer les dégâts dans la citadelle et renforcer la notion de danger ; la discussion avec son père pose les enjeux émotionnels ; et elle clame à haute voix toutes les questions que le jeu souhaite poser aux joueurs et joueuses, donnant la réponse après qu’elle soit trouvée. Alyx est un compagnon subtil. Les dévs font confiance à son public pour prendre note de son raisonnement et suivre son développement émotionnel sans jamais donner des instructions explicites. Le rôle du personnage change même pendant la mission, passant d’un PNJ qui vous guide à quelqu’un qui vous suit, démontrant que vous êtes le personnage principal.
2. Les limites de la complaisance
D’autres jeux tentant la même approche ont tendance à avoir la main lourde sur la prise de pouvoir des joueurs et joueuses, et finissent par sembler condescendant.
Exemple
Le jeu “God of War”(2018) est dans ce cas-là, malgré leur bonne écriture et caractérisation des personnages. Les PNJ vont souvent indiquer des conditions d’état évidentes (comme le fait d’être en feu) ; rappeler les objectifs encours ; ou divulguer la solution de puzzles.
L’intention de départ des compagnons est de donner les informations nécessaires pour jouer au jeu, mais leur aide est si flagrante et parfois inutile qu’ils peuvent donner l’impression de baby-sitter. C’est souvent la raison qui rend les PNJ tutoriels irritants. Ils sont réglés pour indiquer les informations utiles aux joueurs et joueuses les plus débutants, au détriment des plus expérimentés qui se voient gâcher leur plaisir à résoudre des puzzles ou de chercher les faiblesses d’un ennemi. Proposer l’option de les désactiver (“Shadow of the Tomb Raider”(2018)) ou de demander un indice par la pression d’un bouton (“Jedi: Fallen Order”(2019)), peut rendre ce type de compagnon plus agréable sans changer aucun de leurs dialogues.
Il est crucial pour ces PNJ, qui veulent mettre en avant leurs joueurs et joueuses, d’être capable de proposer le bon type d’expérience. Cela demande des prédictions du côté des dévs pour aller dans le sens des envies de leur public.
Dans “Marvel's Midnight Suns”(2022), le cœur du jeu est de diriger une équipe de super-héros et d’avoir des combats cool. Chaque battement de l’histoire sert une de ces deux fantaisies. Donner la chance de définir le genre d’équipe et de chef que vous êtes, en donnant la possibilité d’avoir autorité sur Iron-man par exemple ; ou utiliser l’histoire personnelle des héros pour justifier un combat épique.
Par ailleurs, le jeu admet ouvertement qu’il n’est pas obligatoire d’apprécier ou de passer du temps avec tous les personnages parmi celles et ceux disponibles. Il n’y a pas de conséquences négative à en ignorer un complètement et le laisser sur le banc de touche. Cela dit, augmenter l’affinité avec les héros leur permet de débloquer de nouveaux passifs, améliorer leurs cartes, ou d’autres bonus. Augmenter le niveau d’amitié d’une équipe va également débloquer des combos d’équipe très efficaces.
3. Être utile
Pourquoi le jeu bloque des fonctionnalités derrière le niveau d’amitié ?
De cette façon, le jeu procure une montée en puissance d’un personnage, le rendant plus appréciable au fur et à mesure que ses succès en mission augmentent. De nombreux jeux qui n’ont pas fait le choix de créer des compagnons tutoriels ou accommodants, usent de l’utilité des PNJ pour vous les faire apprécier. Dans différents jeux tactiques, les personnages les plus importants pour l’histoire sont généralement les plus forts.
Exemples
Dans “Fire Emblem: Three Houses“(2019), les trois protagonistes et leurs officiers, autour desquels tourne principalement l’histoire, sont également la colonne vertébrale de l’équipe en combat. Ce qui pousse à être plus investi dans leurs histoires, car ils ont déjà beaucoup d’importance dans le ‘gameplay’. Dans “Symphony of War“(2022), les protagonistes comme Zelos et Diana sont dominants sur le champ de bataille, incitant à les apprécier plus parce qu’ils remportent des missions ardues. Une autre forme d’utilisation se retrouve dans la bande de “Final Fantasy XV”(2016). Différentes mécaniques de jeux qui pourraient, sur le papier, être associées aux joueurs et joueuses sont, à la place, reléguées à la responsabilité des compagnons : Ignis cuisine, Gladio récolte la nourriture et Prompto prend des photos de l’aventure. Rien de change mécaniquement, mais la répartition des tâches établie une atmosphère de dynamique d’équipe au-delà des combats, et rend les compagnons plus vivants, avec leur propre vie et centres d’intérêt.
Les PNJ qui aident activement sont plus susceptibles d’être appréciés, même si leur aide ne pousse pas toujours les joueurs et joueuses à être le centre de l’attention, car elles contribuent tout de même à la victoire.
4. Le fardeau des bons à rien
Malheureusement, cela peut aussi se retourner contre eux. Si un compagnon semble ne pas contribuer ou être peu fiable, il va très certainement finir par être détesté. Cela peut être désastreux pour le plaisir de jeu.
Exemples
Dans “Final Fantasy VII”(1997), Cait Sith à la notoriété d’être inutile : il est le plus faible et capable de tirs alliés. Si bien qu’au moment de sa trahison, c’est un soulagement d’être enfin débarrassé de lui, jusqu’à ce qu’il revienne quelques minutes plus tard. Et, dans divers jeux coop supposés être joués en multijoueurs comme “Left 4 Dead”(2008), les compagnons IA sont si incompétents et plus dangereux que les zombies eux-mêmes, qu’ils sont haïs très vite.
Cette dynamique est particulièrement ressentie dans les missions d’escorte, où l’inutilité d’un compagnon qui doit être baby-sitté, s’accompagne d’une aversion à son égard, car il rend le jeu plus dur, alors qu’on est supposé éprouver de la sympathie pour eux.
Autres exemples
Dans “Resident Evil 4”(2005), Ashley Graham est sans défense et fait peu pour se racheter au cours du jeu. L’impression qu’elle semble ne rien faire et rend tout plus dur, remplace le fait qu’elle est censée rendre (secrètement) le jeu plus amusant, en ajoutant de la tension et plus de gestion de ressources propre aux jeux de survie horreur. De l’autre côté, Elizabeth dans “BioShock Infinite”(2013) contourne le problème en apparaissant sans défense dans les cinématiques, mais en combat, elle est immortelle et aide même en invoquant des provisions. Transformant une dynamique délicate de compagnon en avantages indéniable, tout en maintenant son importance dans l’histoire.
5. Être récalcitrant
Bien entendu, un PNJ qui met au défi les joueurs et joueuses en les faisant travailler n’est pas automatiquement rangé dans la catégorie des personnages agaçants. Ce serait même plutôt l’inverse. Quelques-uns des meilleurs compagnons dans les jeux, ne vont pas aider directement et vont d’abord proposer un défi intéressant à résoudre avant de rejoindre les joueurs et joueuses.
Exemples
C’est le cas de Kim Kitsugari dans “Disco Elysium”(2019). Contrairement au protagoniste, il est un bon policier et va réprimander ce dernier s’il fait l’idiot ou ne se comporte pas de façon professionnelle. Empêchant activement de faire certaines actions quand il est à ses côtés. Et, du point de vue relationnel il n’a pas une bonne opinion du protagoniste, mais au lieu de tirer le jeu vers le bas, le parcours pour gagner son respect et redresser les comportements du protagoniste est une des intrigues les plus gratifiantes à atteindre dans le jeu, précisément à cause de cette relation en froid au démarrage. Kreia, dans “Star Wars Knights of the Old Republic II”(2004), opère sur le même principe, mais dans un but différent. En critiquant à la fois les actions des joueurs et joueuses suivant la voie des Jedi ou des Sith, elle sert à faire réfléchir sur leurs choix, à les défendre ou les reconsidérer, pour construire une vision plus sophistiquée du monde.
L’idée d’encourager les joueurs et joueuses à faire des efforts pour se lier d’amitié avec quelqu’un et les comprendre est une bonne astuce psychologique. Tous ces efforts qui sont engagés dans ces personnages leur donnent plus de valeur. Et en récompensant ces efforts de façon appropriée, le jeu va créer des liens fort entre les joueurs et joueuses et les compagnons, qui vont s’endurcir avec le temps.
6. De relations à mécaniques
Exemple
Regardez n’importe quel jeu qui traque les relations avec les personnages, comme “Persona 5”(2016). Une large partie de la progression est basé sur l’évolution des relations avec les différents confidents rencontrés, dans le but de gagner de nouvelles compétences, de nouveaux accès à des objets spéciaux, etc. Par défaut, faire monter de niveau une relation est long, mais peut être accéléré en choisissant les bonnes répliques durant les dialogues ou offrant des objets adaptés aux goûts des confidents. Cela motive à se soucier suffisamment de chaque personnage pour retenir leurs préférences et histoire personnelle.
Ce système utilise le processus narratif d’apprendre à connaître et s’attacher à quelqu’un, et lui donne un poids tangible sur les mécaniques. Choisir de passer du temps avec quelqu’un n’est pas simplement du texte à l’écran, mais va influencer la façon de jouer. Cela rend plus gratifiant l’acte de faire attention aux dialogues et de cerner un personnage organiquement plutôt que de devenir son ami instantanément, sans efforts. Et cela nous ramène à “Marvel's Midnight Suns”(2022), pour répondre à la question : pourquoi leurs héros maussades, exigeant et parfois à l’humour raté sont attachants ?
En fin de compte, le jeu ne force pas un héros sur le devant de la scène et n’oblige pas à écouter des heures de dialogues. Il encourage à se soucier des personnages de façon à récompenser sur le plan mécanique et narratif.
Exemple
Le personnage le plus marquant pour Adam dans ce jeu était Magik. Il voulait améliorer sa relation avec elle car il adore son style de combat jouant avec des portails, mais Magik était difficilement approchable et ne l’aimait pas trop. Réussir à débloquer cette relation a nécessité de faire attention aux indices divulgués par les autres compagnons parlants d’elle, en apprendre plus sur son passé et en l’encourageant lors d’un moment narratif difficile. Le jeu a utilisé ses personnages pour mettre en place un scénario intéressant, tout en donnant la responsabilité aux joueurs et joueuses de résoudre l’intrigue, et récompense par une augmentation tangible de la puissance ; sans être effrayé de permettre l’échec où Magik continue de les détester. Rendant encore plus important l’attache portée à ce personnage quand on a réussi à la faire s’ouvrir à nous.
Conclusion
Les compagnons sont rendus meilleurs quand le jeu reconnaît le lien entre le personnage joueur (PJ ou avatar) et les joueurs et joueuses.
Cela fait défaut aux jeux qui utilisent beaucoup de cinématiques et dialogues pour expliquer pourquoi le protagoniste est attaché à ses compagnons, sans donner de réelles raisons aux joueurs et joueuses de faire de même. Ou, aux jeux dont les compagnons sont des moulins à instructions, finissant par apparaître incohérent avec le monde auquel ils sont censés appartenir. Les meilleurs compagnons : les plus mémorables, touchants ou amusant à détester ; sont ceux qui attraients à la fois sur le plan pratique et le contexte du monde.
Navi est utile à Link, mais plus qu’agaçante pour les joueurs et joueuses. Midna de “The Legend of Zelda: Twilight Princess”(2006) est similaire, mais s’en sort mieux car elle a un rôle actif en combat et un impact dans l’histoire.
Aujourd’hui, la tendance est de fuir les personnages sympathiques et d’apprécier celles et ceux plus abrasifs, car les plus amicaux sont souvent une façade pour ceux qui vont ralentir ou donner des ordres, alors que les plus hostiles représentantes un défi pour gagner leur respect.
Voici la fin de cette publication. J’espère que vous avez repensé avec nostalgie à ce compagnon de toujours, qui vous a accompagné dans les bons et les mauvais moments.
Merci pour votre lecture !
Remerciements à Jeremy pour la relecture.