ZZZ : de la profondeur dans la simplicité - Analyse
Quels procédés permettent à "Zenless Zone Zero" d'ajouter de la profondeur à son système de combat tout en minimisant le nombre de contrôles nécessaires pour jouer au jeu ?
Dans la catégorie “Analyse”, j’étudie un ou plusieurs éléments particuliers d’un jeu, afin de mettre en lumière les dynamiques qu’il entraîne.
Pour cette publication, j’examine le système de combat de “Zenless Zone Zero”(2024) pour illustrer comment le jeu créé sa profondeur malgré un nombre de contrôles réduit. L’article contient plusieurs micro-vidéos pour illustrer les paragraphes, donc je vous conseille de la lire sur le site internet directement.
Temp de lecture : une 20taine de minutes.
“Zenless Zone Zero”(2024) (alias ZZZ) est un ‘gacha game’ action-RPG développé par MiHoYo, studio qui s’est fait connaître à l’international avec “Genshin Impact”(2020) puis “Honkai: Star Rail”(2023).
Chacun de leurs jeux, depuis 2020, propose un ‘gameplay’ et un univers radicalement différent l’un de l’autre. ZZZ propose des combats ‘Hack’n’Slash’ en temps réel, dans un enchaînement d’arènes. Le jeu est sorti sur téléphone, PC et console en simultané.
Les joueurs et joueuses vont envoyer leurs agents en mission afin de faire progresser l’histoire, ou de récupérer des récompenses pour améliorer ou débloquer des personnages. Chaque mission est une succession de différentes arènes avec des ennemis à abattre. Lors de la sélection d’une mission, les joueurs et joueuses choisissent une équipe d’au maximum 3 agents.
Le combat
Les bases
Un seul agent est présent à l’écran et contrôlé par le joueur ou la joueuse, mais il est possible de l’interchanger grâce aux actions de soutien. La dynamique des combats dans ZZZ est de permuter régulièrement d’un personnage à un autre pour gérer les barres d’énergie et d’ultime de chaque agent. Ainsi que d’appliquer des effets d’anomalie aux ennemis en fonction des faiblesses ou des effets.
Les actions
Liste des touches d’action pour les joueurs, joueuses :
Attaque
Esquive
Attaque spéciale (compétence)
Soutien
Ultime (compétence sous condition)
On se retrouve avec un total de 5 actions de combat (hors déplacements), chacune associée à un ‘input’.
À titre de comparaison, dans des jeux d’actions solo : “God of War Ragnarök”(2022) a 10 actions de combat ; “Grandblue Fantasy Relink”(2024) a 9 actions de combat ; “Elden Ring”(2022) et “Sifu”(2023) ont 8 actions de combat ; et “Hadès 2”(2024) a 5 actions de combat.
Les actions possibles d’un agent.
On se retrouve avec 14 actions de combat disponibles pour chaque personnage. De quoi bien varier les possibilités de jeu des joueurs et joueuses. Certains personnages possèdent des actions exclusives supplémentaires, mais utilisent toujours seulement 5 touches.
Comment le jeu se débrouille pour permettre autant d’actions avec le même nombre de touches ? Il utilise des conditions pour leur déclenchement.
Il existe deux types de conditions utilisées pour modifier les actions en jeu :
Les états
Le ‘timing’
1. Les états
Tout d’abord, on retrouve les états liés à des jauges.
L’état le plus important en combat est l’étourdissement, qui se déclenche lorsque la jauge de confusion est à son maximum. Cet état est essentiel, car il interrompt les attaques et rend l’ennemi immobile pendant un certain temps. Ce dernier prend plus de dégâts des attaques et plus d’effets d’anomalie.
L’anomalie est semblable aux systèmes élémentaires dans d’autres jeux et applique des effets quand la jauge d’anomalie est pleine, tels que : immobiliser la cible avec l’anomalie de glace ou infliger des brûlures avec celle de feu, etc. Certains ennemis sont sensibles ou résistants à certaines anomalies qui leur infligerons plus ou moins de dégâts.
Puis les états liés à des status : comme l’esquive, la projection, la course.
Certains de ces états sont utilisés comme conditions pour changer l’action qui se déclenche au moment d’un ‘input’, en fonction du contexte.
Les actions conditionnelles
L’attaque bondit se déclenche si on lance une attaque normale pendant une esquive. Le contre d’esquive similairement, lors d’une esquive parfaite.
L’ultime est disponible lorsque le score de combat atteint son maximum. Le score est individuel à chaque personnage, mais certaines actions vont augmenter le score de l’équipe entière.
Un enchaînement se déclenche lors d’une attaque lourde1 sur un ennemi
étourdi. Les coéquipiers en retrait peuvent alors déclencher une attaque unique, qui inflige de gros dégâts ou profite d’un effet utilitaire (attaque de zone, à effet ou combinaison d’effets). Chaque agent ne peut participer qu’une seule fois à un enchaînement.
L’activation de l’attaque spéciale et attaque spéciale EX va dépendre de la réserve d’énergie du personnage. L’attaque spéciale est une version bridée de la version EX. Cette dernière est activable lorsqu’un segment d’énergie est rempli et le consomme. L’énergie se remplit avec le temps et en frappant les ennemis. Si le segment n’est pas plein, c’est l’attaque spéciale normale qui s’active sans rien consommer.
Compilation de l’affichage des PV, barres d’énergie et seuil d’activation de multiples agents, en jeu. La taille des segments d’énergie consommée ainsi que le seuil d’activation varient en fonction des personnages, ce qui modifie la fréquence de disponibilité de leur spéciale EX. Ces deux variables d’ajustement permettent de créer des variations entre les agents.
Un soutien permet de changer de personnage, parmi ceux de son équipe, pendant le combat. Cela dépense un point de soutien, qui se recharge en combattant.
Le soutien défensif permet de parer les dégâts d’un assaut et de monter la jauge d’étourdissement tout en changeant d’équipier instantanément. Le soutien contre-attaque se déclenche en attaquant durant l’état défensif. L’agent lancera alors une attaque unique. Il coûte un point de soutien.
Le soutien de secours s’utilise quand le personnage est projeté dans les airs par une attaque puissante ennemie. Cela permet de changer d’équipier instantanément et d’enchaîner sur une attaque unique, plutôt que de continuer à prendre des dégâts. Il coûte un point de soutien.
La variante de l’attaque normale nécessite parfois de remplir les conditions d’une jauge unique à l’agent pour pouvoir être activée. Dans les images ci-dessus, on peut voir les jauges uniques sous le portrait des personnages. La première permet l’utilisation de l’attaque normale variante jusqu’à ce que la jauge se vide ; la seconde permet une seule utilisation, représentée par le point lumineux, lorsque la jauge se remplit une première fois ; la troisième permet la variante si la jauge est remplie à 75% ou plus. L’utilisation d’une jauge unique pour les variantes d’attaques normales est actuellement minoritaire parmi les 30 agents jouables, mais cela rajoute une couche de conditions potentielles supplémentaires.
Récapitulatif
2. Le ‘timing’
La spécificité du jeu est d’avoir certaines attaques normales, spéciales (EX), et/ou esquives (en fonction des agents) dotées d’un passif, qui est une condition d’activation pour une version alternative de l’action.
Cette condition peut prendre 2 formes :
Un changement de pression d’une touche : entre appuyer et maintenir, ou inversement.
Une cadence particulière à exécuter.
Changement de pression
L’exemple le plus évident est l’utilisation de l’attaque spéciale EX de Corine, un agent qui se bat avec une scie circulaire géante.
Lors d’un appui simple sur l’attaque spéciale EX : Corine fait tournoyer sa scie pour trancher l’adversaire, à l’impact, une irruption de dégâts conclut la compétence.
En cas d’appui maintenu : elle fait tournoyer sa scie, mais cette fois-ci, elle la maintient dans le corps de l’adversaire, infligeant des dégâts constants jusqu’à ce que le segment d’énergie se vide ou que la touche soit relâchée. Provoquant l’irruption de dégâts et concluant la compétence.
La barre d’énergie, en haut à gauche de l’écran, donne des indications sur la dépense d’énergie de chaque version.
Ce système se retrouve sur plusieurs personnages et peut aussi s’appliquer aux attaques normales pour déclencher leur variante. Corine, par exemple, peut prolonger la 3ᵉ et 5ᵉ attaque normale de son combo pour étendre l’utilisation de la scie, similairement à son attaque spéciale EX, mais sur un temps plus court.
La cadence
Dans un jeu avec un combat en temps réel, il y a un rythme implicite lié à la vitesse nécessaire d’appui des touches pour enchaîner des actions. Ce rythme détermine la difficulté d’exécution de certains enchaînements.
La précision du rythme demandée pour déclencher certaines attaques est ce qui va différencier un jeu avec de fortes attentes sur les capacités d’exécutions de ses joueurs et joueuses d’autres jeux.
La vitesse d’exécution et le temps de récupération des coups impactent également la cadence. Des actions courtes vont nécessiter d’appuyer plus souvent sur les touches pour créer des enchaînements. Là où les actions lentes permettent d’avoir un temps de pause entre plusieurs appuis. Le temps de récupération crée une fenêtre de vulnérabilité du personnage aux attaques extérieures.
Tous ces éléments participent également à la sensation de jeu.
Dans “Sifu”(2022)(vidéo de gauche), les coups sont rapides pour calquer sur la fantaisie des films de Kung-fu, alors que “For Honor”(2017)(vidéo de droite) a un délai plus long et des mouvements plus amples entre les attaques, traduisant la pesanteur d’un combat en armure médiévale.
Le rythme reste en général similaire tout au long d’un jeu, mais l’introduction de multiples personnages jouables ou adversaires permet de le faire varier.
Le combat de ZZZ est ‘animation-driven’, les actions offensives déclenchent des animations qui doivent se terminer avant d’enchaîner la prochaine. Le jeu est plutôt tolérant sur sa cadence, car on peut déclencher l’attaque suivante pendant la phase de récupération de celle qui précède (qui s’interrompt), et les animations sont amples pour donner un côté spectaculaire au combat, ce qui laisse une marge de temps importante pour enchaîner des coups.
Mais en plus de cela, ZZZ utilise ce temps d’animation pour ajouter une option de ‘gameplay’ qui permet de changer le comportement d’un combo de coups en modifiant la cadence d’appui des touches.
On peut voir l’exemple d’un ajout d’effet d’anomalie avec l’agent Soldat 11.
Si je presse frénétiquement le bouton d’attaque normale, elle va enchaîner son combo de 4 attaques : deux entailles tranchantes, suivies d’un coup de pied, pour finir par une pirouette tournoyante pour fendre l’adversaire. Ces attaques n’infligent pas d’anomalie.
Si j’attends la fin de l’animation de l’attaque normale pour appuyer de nouveau, alors la lame de Soldat 11 s’enflammera et infligera des dégâts de feu supplémentaires sur le combo des 4 attaques. Il s’agit de la variante de son attaque normale. Ces dégâts feront monter la jauge d’anomalie de feu de l’adversaire.
Ici, je dois suivre une cadence particulière pour augmenter l’efficacité de mes attaques.
Un autre exemple, où la fin du combo est changée avec Anby.
Anby a un combo de 4 attaques tranchantes en demi-cercle, la dernière inflige des dégâts électriques. Je l’exécute en appuyant régulièrement sur la touche d’attaque normale.
Si au moment de la 3ᵉ attaque, je prends une courte pause, le temps que l’éclat électrique s’émette de sa lame, avant d’enchaîner sur la 4ᵉ attaque. Alors, elle va terminer par un coup de pied vertical qui fait s’abattre la foudre et projette l’ennemi au sol. Il s’agit de la variante de son attaque normale, infligeant plus de dégâts, plus de confusion et peut interrompre une attaque ennemie.
Il est également possible de proposer une alternance entre attaque normale et spéciale pour déclencher un nouvel effet, comme ici avec Koleda.
Lors de sa 2ᵉ et 4ᵉ attaque normale, Koleda frappe avec son marteau sur le sol. Si j’appuie sur l’attaque spéciale (EX) au moment de l’impact, le coup va déclencher une explosion provenant du marteau, infligeant des dégâts de feu en zone, montant l’anomalie.
Récapitulatif
Diversifier pression et cadence permet de caractériser chaque personnage en leur donnant un rythme de combat particulier qui leur est propre et des variantes uniques d’attaques déclenchables en mélangeant le ‘timing’ d’action et (parfois) les jauges.
NOTE : dans ZZZ, le jeu va prêter des agents lors des missions d’histoire, correspondant aux personnages impliqués dans la narration de la mission. La compréhension et l’utilisation des variantes dans les attaques, grâce au ‘timing’, n’est pas nécessaire pour terminer l’histoire principale du jeu (5 chapitres lors de la v1.7), car les statistiques des agents prêtés sont automatiquement adaptées au niveau de difficulté de la mission. Cependant, maîtriser les variantes devient indispensable pour vaincre le contenu de fin de jeu, car les difficultés supérieures proposent de nombreux défis chronométrés ou des enchaînements de combats avec des modificateurs puissants, et les joueurs et joueuses doivent composer leur propre équipe. Apprendre à optimiser son équipe, l’utilisation des passifs, des attaques, des variantes, des anomalies et la jauge de confusion, est essentiel pour venir à bout de ces défis.
Le jeu propose une expérience guidée et simplifiée sur sa campagne, pour permettre à un maximum de joueurs et joueuses d’atteindre les crédits et de profiter de l’histoire. Tout en leur faisant tester les différents agents disponibles pour leur donner envie d’acquérir ces personnages, via le système de gacha, et de les ajouter à leurs équipes afin de se confronter au contenu de difficulté supérieure.
Conclusion
Utiliser des conditions d’états et de ‘timing’ permet d’offrir des possibilités de ‘gameplay’ alternatives, sans ajouter de nouvelles touches pour les joueurs et joueuses. En gardant des manipulations simples, auxquelles on ajoute une profondeur de jeu. On détourne le défi du jeu vers une gymnastique mentale (principalement sur la mémoire) liée à la connaissance de ses agents et de leurs capacités, plutôt qu’une difficulté d’exécution des contrôles.
ZZZ se démarque des jeux similaires en ne multipliant pas les contrôles (par exemple : attaque légère, moyenne, lourde). Ne créant pas des listes de combinaisons d’actions pour créer des enchaînements, comme dans “Sifu”(2023) ou “Bayonneta 3”(2022). Et, n’associant pas non plus une direction pour chaque changement d’attaque, comme “Super Smash Bros. Ultimate”(2018). C’est une autre façon d’approcher le combat.
Attaques universelles : les attaques sont indépendantes des directions
Attaques directionnelles : des attaques spécifiques sont associées aux directions
Attaques en chaîne : un appui répété provoque un enchaînement automatique de plusieurs coups
Système de combos : requiert une séquence de combinaisons de touches pour déclencher un coup inédit
Ce résultat est très certainement le fruit d’une réflexion autour du ‘gameplay’ ‘hack and slash’ sur les plateformes mobiles, qui nécessitent un minimum de touches, car on joue sur un écran tactile.
Il y a plusieurs choses qui me plaisent dans ce système de combat.
L’utilisation d’un faible nombre de touches permet de réduire la barrière d’entrée du jeu en associant des actions distinctes à des contrôles primaires et secondaires.
La base d’actions est commune à tous les agents, ce qui implique de pouvoir jouer n’importe lequel d’entre eux une fois les fondements appris. Cela réduit grandement la charge cognitive lors d’un changement de personnage.
Le jeu ne sacrifie pas sa profondeur de combat pour autant. Il ajoute de la granularité sur plusieurs niveaux : le premier, en offrant de nouvelles possibilités d’actions grâce aux actions conditionnelles, aux changements de pressions et de cadence des touches. Et le second, en personnalisant les jauges ainsi que les effets de ces nouvelles actions pour les rendre uniques au personnage joué. Cette granularité renforce l’intérêt de jouer différents personnages et permet de toucher un public qui recherche un jeu avec un certain niveau de maîtrise.
L’unicité de chaque agent du point de vue du ‘gameplay’, des animations et du doublage permettent de créer des personnalités fortes que l’on ressent en combat. Mon attachement pour certains personnages dans la narration principale, a été décuplé parce que j’étais attaché à leur façon de jouer.
Dans l’ensemble, j’ai le plaisir de pouvoir changer mon style de jeu à la volée, en changeant d’équipe, pour tromper la répétition des combats, sans pour autant passer par une longue phase d’adaptation.
Toutefois, je regrette un peu que le jeu ne pousse pas à un troisième niveau de granularité en proposant des variations plus fortes entre les attaques et leurs variantes. Comme on a pu le voir dans l’article, les variantes vont généralement causer plus de dégâts, plus de confusion, ou ajouter un effet d’anomalie à une attaque qui n’en possède pas dans sa version normale. J’aurais aimé avoir plus de choix stratégiques au sein d’un même personnage. Par exemple, en ayant le choix entre une attaque mono-cible ou de zone, ou bien pouvoir appliquer 2 types différents d’anomalie en fonction du choix de mon attaque, ou encore choisir entre une attaque de soutien ou de dégât.
Un jeu qui invite à ce genre de réflexion est le MMO “SoulWorker”(2016), qui propose de créer ses propres combos de compétences en les agençant dans l’ordre voulu. Puis en combat, le choix nous revient d’utiliser un combo plutôt qu’un autre en fonction de la situation.
Cependant, bien que cela augmenterait encore la profondeur du combat, il en serait de même pour sa complexité. Et à rendre trop polyvalent un personnage, on perdrait de l’intérêt à constituer une équipe et à changer de personnage en cours de combat. Ce qui irait contre la dynamique générale du jeu que je décris en introduction.
Malgré cela, j’observe une certaine complexification des nouveaux agents introduits au fur et à mesure des mises à jour. Donc, il est possible que cela évolue dans le futur.
Et voici la conclusion de cette première publication de la catégorie analyse. J’espère que cela vous aura plu.
Merci pour votre lecture !
Remerciements à Waël pour la relecture.
Le dernier coup d’un combo d’attaque normale (variante), l’attaque spéciale (EX), le contre d’esquive et l’ultime sont considérées comme des attaques lourdes et peuvent déclencher un enchaînement.